Thèse de Guillaume Mercier sur la bienveillance organisationnelle comme motif de coopération
au-delà des règles et des rôles, trois essais
Titre de la thèse :
La bienveillance organisationnelle comme motif de coopération, au-delà des règles et des rôles
Thèse en sciences de gestion de Guillaume Mercier soutenue à ESCP Europe, sous la direction de Ghislain DESLANDES, professeur à ESCP Europe.
Résumé général
La bienveillance est un motif d’action qui vise le bien de l’autre où répond à un bienfait de l’autre ; elle constitue également un élément du contexte organisationnel, qui participe du climat éthique dans lequel chaque membre agit. Elle prend diverses formes selon l’importance donnée au bien de l’autre, au sien propre et à la relation : elle peut être gratuite, utilitariste réciproque, instrumentale, etc., jusqu’à une forme de « bienveillance mutuelle », faite de gratitude, orientée vers l’autre dans une relation.
La bienveillance organisationnelle – comme bienveillance d’un agent en tant qu’il participe avec d’autres de l’expérience organisationnelle, l’influence et est influencé par elle – peut émerger et se développer dans un engagement réciproque des agents, favorisant alors la coopération et un dépassement des normes d’action : elle est efficace – et paradoxalement, elle est d’autant plus efficace qu’elle ne vise pas cette efficacité. Cette bienveillance peut être comprise dans son rapport aux règles et aux rôles organisationnels : un rapport d’interprétation ou de réinterprétation réciproque.
[Article 1]. La violation par les dirigeants de la norme commune d’action et d’engagement (ici sous la forme d’un contrat psychologique de groupe, ou contrat normatif) et leur refus d’une forme d’échange social peuvent amener les membres à développer en réponse du cynisme organisationnel – un opposé de la bienveillance – comme une réflexivité et une réinterprétation pour eux-mêmes de cette norme d’engagement, vers un niveau d’indifférence et de retrait individualiste. Ce retrait internalisé n’empêche paradoxalement pas les membres de continuer à « jouer » leur rôle extérieur, comme par un découplage entre motif et action. Serait-ce alors une solution de moindre mal ?
[Article 2]. La bienveillance – dans ses différentes facettes, gratuite, mutuelle, utilitariste, instrumentale, etc. – représente un facteur de coopération et d’engagement dans l’organisation, et constitue ainsi un élément de la norme d’action, de la convention d’effort de l’entreprise, comme vertu professionnelle. C’est à l’aune de cette norme d’action – et notamment de la recherche de la performance – que la bienveillance peut être interprétée, mesurée, et encadrée. L’organisation – notamment à travers le modèle des leaders, l’utilisation qui est faite des systèmes formels (comme ici d’un système d’évaluations ascendantes), etc. – encourage ses membres à développer et pratiquer un certain niveau de bienveillance (prescrite) considérée comme efficace, et jugée uniquement sur ses conséquences (faisant ainsi disparaître la question de l’intentionnalité). Une bienveillance mutuelle ou gratuite est exclue (proscrite) de l’interprétation commune de la norme et des rôles organisationnels, et ne peut émerger qu’aux marges de l’organisation, hors du cadre normatif.
[Article 3]. Cependant, la bienveillance – dans ses formes gratuite et mutuelle – peut également constituer le motif de l’action des membres de l’organisation, son motif général comme sa fin visée. C’est selon ce motif bienveillant que les membres peuvent alors interpréter les règles organisationnelles (ici, un code éthique). Cet exercice d’interprétation, herméneutique et éthique, est interpersonnel et communautaire, et se fonde sur la sagesse pratique. Il permet d’adapter la règle aux situations, pour le bien de chacun et le bien commun. Les membres s’approprient alors la règle comme un cadre dynamique qui les aide à avancer vers leur finalité.
Finalement, ce n’est plus la règle qui fixe les parcours dynamiques de développement de la bienveillance (dans la règle ou à ses marges), mais c’est la bienveillance qui permet à la règle de devenir un parcours de développement éthique. Ce n’est plus la règle qui interprète et qui encadre la bienveillance (voire qui l’enferme dans une recherche de performance), mais c’est la bienveillance organisationnelle qui interprète la règle et l’ouvre au bien de l’autre. Etre pleinement bienveillant, c’est redéfinir ou réinterpréter les règles, les rôles, les normes d’actions – et l’expérience organisationnelle – en vue de l’autre et du bien commun, dans l’approfondissement de la relation mutuelle.
Mots clés : Altruisme ; bienveillance ; bienveillance organisationnelle ; éthique ; éthique des vertus ; herméneutique ; intention ; motif ; règle ; rôle ; sagesse pratique